LES RETARDATAIRES

Publié le par La fée Carrabosse




 Maman se levait tard et ne nous préparait pas pour l'école. Notre bonne, peu soucieuse des horaires, nous réveillait régulièrement après l'heure. Christiane, grande sœur de bonne volonté, aidait les petites à se préparer et nous partions toutes les quatre aux pas des plus jeunes. Chaque matin, nous arrivions dans la cour vide et silencieuse, je n'en pris jamais l'habitude. Je rentrais le cœur serré, mes galoches résonnaient sur le plancher, je voyais les regards me suivre à travers les vitres, frappais à la porte de la classe pour m'entendre dire : "reste dans le couloir jusqu'à la récréation". Je partageais mon infortune avec Marc, un nouveau, maigrelet et nerveux. Nous avions, d'un commun accord, décidé de ne plus faire nos verbes : « arriver en retard » à tous les temps, que chaque jour, la première de la classe, l'inévitable Denise, inscrivait dans l'extrême coin droit du tableau. Aux vacances de Pâques, nous en collectionnions quatre-vingts. Notre institutrice décida de nous garder en retenue jusqu'à ce que nous les ayons terminés.
  Je compris de suite que la sentence ne pourrait être exécutée, surtout en ce qui me concernait, j'écrivais si lentement ! Aussi, je commençais mon premier verbe en soignant mon écriture à l'excès, une véritable calligraphie, tandis que mon compagnon se lançait à corps perdu dans la rapidité. Au bout d'une heure, Mme  Maurin  descendit nous voir : Marc avait fini vingt-quatre verbes, à tous les temps, elle lui  dit : "c'est bien, tu peux partir". Il pliait déjà son cartable, en me regardant d'un air inquiet. Elle vint vers moi et vit stupéfaite, mon premier verbe encore inachevé : «Enfin, c'est très bien écrit, tu peux t'en aller". Davoli en demeura médusé, je crois que ma maîtresse aussi.


(Extrait du Château de cartes)

Publié dans Courte nouvelle

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