L’ACCIDENT.

Publié le par La fée Carrabosse


Parce qu’elle avait les mains dans la farine, elle avait pesté contre le coup de fil importun, pris le temps de les rincer et de les essuyer avant de répondre :

- Ici madame François, j’écoute.

- L’hôpital de Fréjus, votre mari a eu un accident, il vient d’être admis aux urgences, pourriez-vous venir rapidement ?

- J’arrive immédiatement.

La première fois qu’elle avait entendu cette formule : « …urgence… venir rapidement. » C’était lorsque son fils avait eu un accident de mobylette, elle avait craint le pire, avait sauté dans sa voiture, pris mille risques et finalement trouvé le jeune homme assis sur une chaise avec un pied bandé, il avait une simple entorse. Ses vêtements étaient tâchés et déchirés, elle avait alors regretté de ne rien avoir emporté pour qu’il puisse se changer pour rentrer. Aussi cette fois, elle ne s’était pas affolée, avait pris un survêtement chaud pour Pierre, des souliers souples, et même des sous vêtements, mis le tout dans son sac de sport, enfilé sa fourrure, elle craignait l’attente dans les courant d’air des couloirs  aux portes toujours ouvertes aux passages des civières. Puis elle s’était rendue directement aux urgences. Au guichet elle avait demandé :

- Monsieur François s’il vous plait.

La jeune femme avait cherché sur son registre :

 - Il est en réanimation, au quatrième,  mais à cette heure…

Elle n’a pas entendu la suite, elle s’est précipitée. Elle connaît l’hôpital par cœur pour l’avoir fréquenté durant les deux années où sa mère y avait souffert pour y finir ses jours, dans cette folie qu’est la médecine moderne, sa pauvre vieille maman, à plus de quatre vingts ans, trois fois en réanimation, des mois avec le catgut, souvent la respiration assistée, et la dialyse…Elle l’avait nourrit comme un bébé, car elle ne pouvait plus porter ses mains à sa bouche.

Et aujourd’hui, son amour là-haut, lui si fort, si gai… Qu’avait-il, mon Dieu ? L’ascenseur qui n’en finit pas de monter, les couloirs qui lui paraissent plus long qu’à l’habitude, enfin elle sonne, et attend sagement, elle connaît les rites, pour finir une voix :

- Qui est-ce ?

- Madame François.

On est venu très vite, une infirmière brune qu’elle n’avait jamais vue, elle explique :

- Vous vous déshabillez ici et enfilez une blouse.

- Je sais merci.

Elle a fait très vite, attend encore, la jeune fille revient, la conduit.

Pierre est là, blême, lui dont les lèvres sont si colorées habituellement. Il est relié aux appareils classiques, le cœur bat lentement, l’encéphalogramme n’est pas plat, mais elle ne sait pas s’il est normal, elle n’a jamais pu se renseigner à ce sujet, il subit une transfusion.

- Qu’a-t-il ? Elle a parlé lentement et très bas.

- De simples traumatismes, une plaie ouverte très importante à la jambe. Il a perdu beaucoup de sang, son cœur a lâché, nous avons dû faire un massage cardiaque.

Elle se sent partir à la dérive… Elle a juste effleuré sa main, murmuré Pierre. La nuit du coma les sépare.

- Vous ne pouvez rester ici, a dit l’infirmière.

- Puis-je demeurer dans la salle d’attente ? A-t-elle demandé anxieuse.

- Bien sûr, s’il y a du nouveau je vous préviendrais, à répondu  la jeune fille en se dirigeant vers un autre malade.

Elle a reposé la blouse dans le casier, remis sa fourrure malgré la chaleur de l’hôpital, s’est assise, a regardé l’heure pour la première fois : neuf heures, il devait en être sept quand on l’a prévenue. Le temps a passé vite, c’est maintenant qu’il va lui paraître long. Elle a fermé les yeux et derrière ses paupières closes les premières images sont arrivées, précises,  ciselées : Pierre enfant, Pierre adolescent, Pierre son mari, sa vie…

A  une heure l’infirmière est sortie, son cœur s’est serré.

-   Madame, venez, il a repris connaissance.

Pleine d’espoir elle est rentrée. A nouveau le rituel de la blouse blanche…Rien n’a changé vraiment, il a toujours la même pâleur, mais quand elle a appelé : « Pierre, mon amour. » De cette voix douce qu’elle ne réserve qu’à lui. Il a ouvert les yeux, dans un long regard intense, il s’est donné à elle encore une fois, mais aucun mot n’aurait pu la pénétrer plus profondément, épuisé, il les a refermés.

-  Laissez le maintenant. La voix s’est faite plus attentive. Est-ce son regard qui a ému la jeune fille ? Elles sont sorties ensembles.

-    Vous désirez vous reposer ?

Elle n’a pas vraiment compris le sens de la question et a pensé que c’était une invitation à quitter l’hôpital.

-  Je vous en prie, je veux rester près de lui.

- Naturellement, mais si vous le souhaitez il y a une chambre seule inoccupée.

-  Ah ! Merci beaucoup.

Elle a ôté ses chaussures, s’est glissée sous sa fourrure et les souvenirs en rangs serrés se pressent, se bousculent, reviennent lui tenir compagnie, réchauffer sa détresse. L’aube grise a éclairé doucement la fenêtre, c’est à ce moment qu’elle s’est assoupie. Au bruit léger de la porte, elle a sursauté, la jeune infirmière est entrée ; a-t-elle deviné l’immensité de leur amour ? N’est-elle pas encore endurcie ? Ses yeux se sont embués et sa voix a tremblé pour dire :

- C’est fini.

Elle n’a pas encore mal, elle a murmuré en tendant le petit paquet.

- J’avais apporté des effets au cas où il serait sorti, si on peut l’habiller je désirerai le ramener chez moi.

- Bien.

- Excusez-moi, je vais prévenir mes enfants.

Elle est descendue dans le hall, s’est dirigée vers la cabine, a composé le numéro de sa fille parce qu’elle le sait par cœur. La sonnerie dure, se prolonge, ils doivent être encore en haut, ils dorment peut-être, elle réalise que c’est dimanche. Enfin on décroche.

- Brigitte ?

- Maman

- Je te téléphone de l’Hôpital de Fréjus, papa a eu un accident…

- Grave ?

- Très… et dans un souffle, il est mort.

C’est lorsque sa fille a crié que la douleur l’a submergée violente, elle a encore eut la force de murmurer :

- Soit gentille, préviens tes frères je n’ai pas leurs numéros. Puis elle a raccroché.

Brigitte avait raison, ce qu’il y avait entre eux était tellement fort, qu’ils n’avaient jamais rien pu partager avec personne. Maintenant elle était seule, définitivement seule. L’avoir encore une heure, rien qu’une heure être dans son aura, dans sa chaleur. Il ne lui restait que ses souvenirs et ce dernier regard…

 

 

 

 

Publié dans Nouvelle

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