NE DE PERE INCONNU.

Publié le par La fée Carrabosse

 

                      

 Le petit Henri était né au printemps 1912 d’une jeune fille, aux grands yeux bleus, blonde  et timide, prénommée Camille. Elle avait accouché à la clinique Notre-Dame. Le moment tant redouté par Camille était arrivé, la sœur supérieure venait de lui poser la question fatidique :

- Le nom et le prénom du papa ?

- Il n’y en a pas. Avait répondu Camille dans un souffle. Elle avait alors reçu sa première humiliation, tant d’autres suivraient... La sœur impitoyable s’était levé et avait crié à qui voulait l’entendre :

    - Regardez-moi celle là, on lui donnerait le bon Dieu sans confession, et elle est fille mère ! Tu ne souhaites pas l’abandonner de plus ?

    - Oh ! Non, non. Avait courageusement affirmé Camille serrant son fils sur son cœur.

De retour à la pension des Oiseaux, elle s’était enfermée dans sa chambre avec son petit prince. Elle n’en sortait que pour aller travailler à l’atelier,  confiant l’enfant à la garde de la bonne madame Estelle, sa logeuse.

   Le petit Henri grandissait, il était la fierté de « Maman ». Il se souvenait, avec attendrissement, de cette époque bénie où il l’avait tout à lui. Le jour qu’il préférait était quand elle se lavait la tête. Ils s’étaient levés de bonne heure, ils avaient déjeuné, le ménage était fait et l’eau bouillait sur le fourneau. La cousine Henriette arrivait des rires plein les fossettes. Maman asseyait Henri sur sa chaise haute confortablement sur un coussin, de là il pouvait tout voir : Elle baissait sa camisole découvrant ses beaux seins blancs et le long travail commençait. Les jeunes filles s’activaient : lavant, rinçant, essorant, séchant la blonde chevelure. Maman s’installait sur l’escabeau et Henriette démêlait les longs cheveux qui touchaient presque à terre. Puis Maman  mettait un ruban pour les sécher, alors les bouclettes se reformaient et ils ne lui arrivaient plus qu’aux fesses. Elle ajoutait de l’eau chaude dans la dernière eau de rinçage et entreprenait de faire la grande toilette d’Henri dans la cuve, presque un vrai bain ! Pendant ce temps Henriette pétrissait un gâteau… Ce jour là s’était vraiment la fête. Maman et Henriette enchaînaient les chansons entre deux rires et  après le repas, Maman attachait ses cheveux en chignon d’où s’échappaient toujours quelques frisettes rebelles. Puis ils allaient  se promener sur l’Avenue, les demoiselles léchaient les vitrines tandis que, selon la saison, Henri suçait un sucre d’orge ou une glace.

   Hélas ! Les meilleures choses ont une fin  et l’année de ses dix ans fut une année noire pour Henri. D’abord Maman se coupa les cheveux. Puis il surpris une conversation entre les deux cousines.

   - Tu serais bien sotte de refuser l’offre  généreuse de ce jeune homme, disait Henriette, t’épouser te sachant fille mère, accepter un grand fils de dix ans, tu ne crois pas que tu as déjà assez payé et que, toi aussi, tu as droit au bonheur…

   Henri n’en écouta pas davantage et s’enfuit dans le parc pour pleurer tout son saoul.

   Maman se maria avec le jeune homme maladroit, qu’elle  lui avait présenté comme son futur papa. Henri ne dit rien, il n’en pensa pas moins qu’il ne voulait pas d’un futur papa, qu’il était très bien tout seul avec Maman, mais qu’il aurait quand même bien aimé avoir un vrai père.

   C’est ainsi que le petit Prince devint l’affreux petit canard. D’autant que Maman lui « donna » très vite une sœur ronde et brune aussi laide que son père et, moins d’un an plus tard, un frère prématuré. Henri regardait cette petite larve rouge entourée de coton et ne comprenait pas comment Maman pouvait aimer cette chose plus que lui et lui consacrer tout son temps. Enfin la larve sortit de son cocon et s’avéra être un garçon au regard incertain, un œil au milieu et l’autre sur le côté. Il ne lui manquait que des lunettes pour être tout à fait horrible. Maman n’en continua pas moins à le préférer à tous, même à ceux qui arrivèrent ensuite. D’abord un gros garçon blond et rose qui lui fit comprendre que lui-même ne  ressemblait pas à sa mère comme il l’avait toujours cru. C’était le temps de l’adolescence, et Henri regardait désespérément son visage. De qui tenait-il ce fin profil ?  Ses yeux plus verts que bleus ?

   Pourtant il arrive que dans les moments les plus difficiles une lumière enfin apparaisse. C’était le matin de ses dix sept ans, embarrassé, son beau-père entra après avoir frappé discrètement. Il parla de sa voix douce :

   - Te voilà  un homme aujourd’hui. Maintenant je peux te demander si tu veux bien devenir mon fils et accepter mon nom.

    Ainsi, si cet homme délicat ne l’avait pas reconnu plus tôt ce n’était ni  indifférence, ni négligence. Pourtant que d’années d’humiliation, de colère rentrée, lui avait coûté cette délicatesse. Henri sentit ses yeux s’embuer, il se tourna pour ne pas montrer son émotion, et bougonna semblable à lui-même :

   - Faîtes comme vous voulez. Le brave homme insista :

   - Je ne veux pas te forcer la main, ta mère pense que tu préfères garder le nom de ton grand-père.

    - Non, non, pas du tout.

   Henri était furieux que sa mère veuille qu’il garde le nom et le prénom de son propre père à qui elle vouait une véritable dévotion. Il imagina tout de suite qu’elle avait toujours manigancé pour empêcher son beau-père de le reconnaître. L’amour passion qu’il avait eu pour elle s’était petit à petit transformé en un désamour désespéré, que nourrissait sa solitude d’aîné coupé de ses frères et sœur par trop de différence d’âge. Finalement la seule personne qui soit gentil pour lui était cet homme qui restait là debout à le regarder, surpris de la vivacité de sa réponse, trop timide pour lui tendre les bras, aussi ému que lui-même. Alors, il s’arma de courage, et murmura :

    -   Merci papa.

    Son beau- père sorti et il l’entendit se moucher très fort. Henri garda son caractère difficile mais appela dorénavant celui qu’il regardait comme son père : « papa ».

   L’année de ses vingt ans fut cependant une belle année, il rencontra une jolie jeune fille qui devint sa fiancée, mais en garçon raisonnable, il attendrait de gagner sa vie honorablement et d’avoir de quoi s’installer pour se marier. De plus arriva le benjamin de la famille un petit garçon souriant et malicieux aux traits fins aussi brugnon que leur sœur aînée mais dont les yeux verts rappelaient les siens. Il fut le préféré, le seul qui eut le droit d’entrer dans sa chambre, « le tout petit, petit coquin de son grand frère. »

   En 1937, Henri se maria, et en trente huit un fils lui vint, son portrait assurait chacun. Il s’imagina qu’il allait être heureux et trouver un équilibre dans cette famille bien à lui. Hélas ! L’année suivante il fut mobilisé, puis fait prisonnier. Trop révolté pour rester sagement dans un camp, il souffrit mille morts dans des travaux forcés de plus en plus pénibles, il revint démoli physiquement et moralement. Son fils avait grandi sans lui, entre sa mère et sa grand’mère maternelle et les deux femmes en avaient fait un enfant qu’il jugeait trop gâté. Déjà ébranlé par une enfance sans père, le caractère d’Henri devint après les souffrances et les privations de la guerre franchement exécrable. Il fallut toute la patience et l’amour de sa femme pour l’aider à retrouver une vie presque normale. Il repris son ancien métier de cuisinier dans une maison de retraite et y trouva quelques petites satisfactions. Mais sa santé laissait encore à désirer.

   Les années passèrent avec les mariages et les naissances, les joies et les peines. Papa et Maman  moururent sans qu’il ait vraiment pardonné à cette dernière son silence sur l’identité de son père.

   Ce jour là toute la fratrie, avec femmes et enfants était réunie. Plus moi, la première née de la quatrième génération, assise sur l’éternelle chaise haute. Il y avait même la cousine Henriette maintenant bien vielle mais encore bon pied, bon œil. On mangeait ferme, buvait sec, quant au détour d’une conversation la cousine  Henriette déclara tout de go à Henri :

   - Quel caractère ! Tu ressembles bien à ton père !

   Stupéfaction dans l’assemblée.

   - Tu connais mon père ? S’écria Henri.

   - Comment, là, maintenant, tu ne sais toujours pas qui est ton père ? A soixante ans ! La cousine Henriette demeurait confondue. Ta mère ne t’a pas dit…

    - Tu ne peux plus te taire, Henriette, nous avons tous droit à la vérité.

   C’est ma grand-tante qui était intervenu, la sœur cadette d’Henri mais le chef de la tribu depuis longtemps.

    - C’est l’oncle Louis, avoua Henriette visiblement mal à l’aise.

    - Oh ! Le salaud ! S’écria ma grand-tante perdant pour une fois sa distinction naturelle.

    - Attention ma tante, déclara mon père, tu insultes mon grand-père.

   Ce fut un grand éclat de rire, qui détendit définitivement l’atmosphère.

   De ce jour tout entra en ordre dans la tête et le cœur d’Henri. Sa mère s’était tue, pour ne pas peiner sa bonne tante Marie, qui l’avait si généreusement accueillit. L’orpheline avait-elle cédé facilement au magnifique soldat dont la photographie ornait la table de nuit de sa tante ? Henri ignorerait toujours la réponse à cette question, mais il avait deux certitudes : sa mère n’avait pas démérité en taisant le non du héros mort à Verdun, et il est probable que, si son père avait vécu, il ne l’aurait certainement pas reconnu, c’était impossible à l’époque, mais il l’aurait aimé et choyé.  Il se souvenait des yeux pleins de tendresse de la « tante Marie », lui confiant son grand regret de n’avoir pas eu d’enfant et le chagrin qu’en avait éprouvé l’oncle Louis.

   De ce jour Henri devint la crème des hommes, celui que j’ai connu, mon grand-père chéri.

 

 

 

Publié dans Nouvelle

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V
<br /> cette histoire me touche car j'arrive au but pout mon ami emile qui recherchait ses parents apres avoir été confié à la DASS a deux mois avec son frere jumeau ! son père est helas décedé en 1999<br /> mais sa mère est en vie, elle a 82 ans et vit à gardanne chez une demie soeur d'emile, il pourra la voir pour noel.<br /> <br /> <br />
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L
<br /> C'est vrai, cette histoire est universelle. En l'occurence c'est celle du demi-frère de Claude.<br /> A demain, Jacqueline<br /> <br /> <br />